Paradoxes de la Pénombre Georges Meurant
L’œuvre de Movy Pasternak trouve amateur en Europe, au Japon, aux Etats Unis. J’en ai moi-même acquis. Cette intimité me vaut de tenter de dire ce qu’elle est, en quoi elle s’impose, en quoi elle est active. Il m’a fallu, pour ce faire, l’inscrire dans une vision globale de la création, dont la nécessité a tenu moins sans doute des paradoxes qui la trament que de la confusion qui prévaut dans le domaine artistique, à défaut de débat d’esthétique. Chacun apprécie à sa mesure ce qui lui convient parmi la variété à laquelle a voué l’art le siècle terminé. Celui qui commence ne se reconnaîtrait pas dans le travail de la main. C’est ce qu’affirment tant le marché d’art international que notre propre enseignement artistique. Pourquoi persister dans la difficulté et la lenteur, celles du dessin par exemple? Le traitement de constats mécaniques, la transformation de matériaux détournés ou réutilisés permettent une expression immédiate et combien accessible.
L’action créatrice est liée à ce que nous sommes, si intimement qu’elle nous ramène à nos débuts, à l’avènement de la parole. L’articulation du langage nous détachait de l’animalité qui nous incarne, nous détournant d’un pan d’absence de nous-mêmes pour celui par lequel nous nous éveillons à la vie. Depuis s’étend l’écart, s’approfondit la faille qui nous tranche et nous dédouble à jamais. Car nous ne pourrions nous passer ni de l’automate qui nous gouverne le corps, ni désormais de la poussée avide de sens qui nous édifie une conscience des dépouilles de nos sensations, ruinant notre naïveté. Nous nous sommes, dès nos balbutiements, exercés à l’action poétique ou artistique, dont la re-création restaure notre intégrité. Au praticien comme au simple usager, elle offre encore et toujours l’opportunité de réduire la fracture qui le déchire entre nature et culture, de renouer les liens rompus, de régénérer les aptitudes émoussées à l’usure culturelle, d’initier les fonctions perceptives demeurées inertes. L’art nous convie à une pratique des plus archaïques de maîtrise des pulsions surgies de notre part enfouie. Ce geste de survie opère au cœur même de la blessure, comme une médiation du sensé, dont l’exaltation nous émancipe, à l’insignifiance, qui nous renvoie à la réalité naturelle.
La culture est la somme de nos activités, l’espace au sein duquel nous nous humanisons, celui d’une transgression de la nature: plus nous nous imposions malgré notre faiblesse, plus notre entreprise détruisait son fondement, que nous piétinons à présent sous notre nombre. Art à part, la culture est langage toute, transitivite? ou succession d’éléments homogènes liés et déliés selon des codes qui nécessitent apprentissage et mémoire. Science en tête, elle construit notre connaissance tandis qu’à l’opposé, en tandem et nous équilibrant, l’art puise son énergie dans notre secrète inconscience. Créatrice ou simplement perceptive, l’action artistique s’exerce hors mémoire. D’éléments hétérogènes, elle produit de la dynamique ou de la tension, toujours par contrastes ou par oppositions, à la faveur d’une pleine présence de l’acteur à l’évènement, ce temps suspendu, un présent étale, ni instantané ni transitif, qu’instaure l’attention. Alors opère, magique puisqu’effectif à distance, l’effet de l’art dont nous ressentons l’énergie. Celle-ci nous prend et nous garde, son empreinte nous rappellera ultérieurement à elle. Elle est la tension d’un espace perceptif, l’efficience vraie d’une réalité toujours recommencée, non la fiction d’une virtualité dont la compréhension éteindrait bientôt l’attrait.
Ces considérations dites, voici l’œuvre dont la rétrospective nous est offerte : un dessin d’observation rigoureux, nourri par la maîtrise de techniques anciennes, organisé selon de savantes stratégies, qui étudie l’humain comme le papillon posé sur la branche ou épinglé sur la planche, doublant son examen d’une affirmation effective bien que muette. Pasternak investit en effet sa geste d’un certain sentiment, qui s’impose à lui, qu’il suggère allusivement, dont le message grève la représentation d’un sens identifiable, qu’une subtile mesure de doute répète en échos déformants. Ce travail, je l’ai découvert dès qu’il a été livré au public, voici trente ans: une vision implacable qui m’intrigue depuis lors. Son imagerie appelle l’identification de personnages campés généralement en totalité, isolés ou par groupes, aspectés au sein d’un décor sous les angles d’une multiplication de points de vues. L’image est d’autant plus efficace qu’elle est précise. Car l’œil cultivé est avide de reconnaître les apparences et d’en interpréter les configurations. Ces figures-ci exacerbent une sorte de concentration, une impénétrabilité enfermée dans les formes qui se détachent d’une opacité matricielle. Elles sont des lumières surgies d’une obscurité refuge, omniprésente sous les éclaircissements. Elles basculent du plein au vide ou l’inverse, lorsqu’une confusion maligne fait admettre comme pareils ou équivalents les pôles ténébreux et lumineux.
Ces apparitions attendent la compréhension d’un sens générique, dont l’enchaînement des tableaux réitère obstinément le drame. Pasternak nourrit son action du bruit introspectif ressassé, à son insu peut-être, dans la succession des moments de pleine attention à ce qu’il fait. De l’ensemble sourd de fait un seul sens insistant, qui suggère l’implosion de la personne dans la disparition. Plus qu’une éventualité, c’est un appel que l’invocation conjure, que l’évocation répète, multipliant les chutes comme autant d’acceptations de ce sort. La suggestion très nette d’un abîme proche, où disparaître immédiatement englouti, m’impose cette hypothèse. Canal I comporte trois registres hiérarchisés. A terre gesticulent, vus en plongée, quelques aspects désorientés d’une même identité, que le canal en fuite transversale retranche d’un ciel vers lequel monte une arborescence reflétée en retour dans les eaux. L’invitation à la noyade dramatise l’expression “se jeter à l’eau”, en l’occurrence oser perdre pied. Ou serait-il question de la cessation de notre existence physique? Mais jamais le corps ne se résoudrait au mourir, il faudrait qu’une suffisante volonté le tue.
Le sentiment d’abandon s’étend dans l’œuvre par l’allongement progressif à terre de personnages antérieurement dressés. L’annoncent les vertiges qui investissent les décors. Le déploiement de ciels en fuite et l’attirance de sols invitent au déposement. Le traitement des fragments de nature trouve accès aux automatismes de la perception visuelle qui tendent à tendre l’énergétique spatiale. Le thème de la disparition apparaît, lorsque l’intellect s’efface devant la sensation du corps, comme le croisement des nécessités et aspirations antagonistes selon lesquelles s’effectue la geste créatrice. Ne faut-il pas, pour atteindre l’œuvre opérante, renoncer, durant l’action du moins, à tout ce qui s’ajoute à l’être, quitte à perdre et la boussole et la cuirasse? Je connais des artistes qui, pour s’être totalement livrés à l’œuvre, ont tant craint de se détacher de leurs proches, voire de sombrer dans la folie, qu’ils ont renoncé aux outrepassements qu’un moment de péril leur avaient permis d’entrevoir.
Le trouble que Movy Pasternak m’impose, je le porte puisque je le comprends, d’autant plus pre?sent que c’est en moi qu’il émerge, suscité par l’œuvre sans qu’elle l’ait expressément formulé. Ce n’en est pas moins l’étrangeté d’un autre que je décrypte, une solitude réelle qui transparaît, à peine masquée, dans l’artefact offert à ma vue. Une force de vérité émane donc de cette langueur, qui tente de me faire admettre sa réflexion, au risque que les affects qu’elle provoque me détournent du spectacle qu’elle authentifie. Prétexte à l’action créatrice ou sa résultante, cette force paraît nécessaire à la mise en œuvre de la tension qui reste son objectif, dont l’accomplissement devra me faire oublier l’incantation. Pasternak appartient au nombre des artistes attachés au réel dont l’œuvre exploite la pulsion de mort, dans la conviction goethienne que cette thématique est la seule qui vaille d’être entreprise. Pour ce qui me concerne, ce message ne me nourrit ni ne me libère. L’oubli m’en vient des détails d’une nature vibrante, dont les émergences, ici et là du plein ou du vide obscur, me suffiraient, parcimonieuses et toujours belles.
Le sens suggéré ne concourt pas à la fonction énergétique dont le pouvoir, libérateur, curatif parfois, provient de ce que sa tension suscite de l’émergence plutôt que de l’effondrement. L’art exprime certes le mourir lorsque son processus inclut la destruction, mimétisant la nature qui produit ses morphogenèses par cycles de créations et de destructions. Celle-ci travaille ainsi nos perceptions, dès que nous nous abandonnons à elles suffisamment pour ressentir son phénomène dans l’oubli de ce que nous en aurions appris. Telle montagne offre à l’esprit de parcourir à sa vue la géologie qui l’explique. Mais surtout cette montagne perpétue en silence, à l’instant sous nos yeux, son action, la poussée qui l’a levée, comprimée, tordue, tendue dans la forme dont l’élan s’imprime au moindre de ses détails. Peut-être assumerons-nous en outre, par un frisson, le choc de son ressac, le reflux qui érode le roc? Notre prétention parait folle de créer de presque rien effet semblable à celui de la mer recommencée, qui de même ferait taire notre bruit et que notre présence renouvellerait indéfiniment. Si ridicules que soient nos forces et infime le temps qui nous mesure chacun, nous le faisons. L’art atteste depuis toujours de tels exploits, du moins ceux inscrits dans la matière concrète, car des danses et des chants immémoriaux nous ne savons rien. Rares parmi d’in- nombrables produits, les œuvres avérées par leur action nous révèlent à nous-mêmes et affirment notre constance à travers siècles et millénaires, par-delà les contextes culturels relatifs.
Movy Pasternak a d’emblée composé d’imagination. Deux objectifs s’imposaient à lui, celui de jouir d’une liberté suffisante de la main et celui d’investir son travail du pouvoir de s’imposer durablement à l’œil. Pasternak exploita essentiellement la gravure, dont il fit siennes les matrices dès l’adolescence, tandis que le pastel tardivement entrepris lui offrait l’exécution de bien plus grands formats, à voir avec recul. L’espace de l’œuvre fut mis en chantier au sein d’une imagerie dont les figures furent peu à peu définies selon les formes empruntées à l’étude de modèles. La succession rétrospective restitue la constance et l’évolution du geste et du sens à travers une trentaine d’estampes que domine l’opposition du noir et du blanc : une par an depuis qu’il en montre, tant est lente la technique favorite de Pasternak et profond son attachement aux scènes qu’il met sans hâte en travail. La pratique infiniment plus rapide du pastel a produit en outre deux douzaines de plus grands formats, en couleur, sans vraiment initier de révolution thématique ou esthétique. Elle a cependant développé cette sensation purement perceptive de vacillement au-dessus de sols constellés de feuilles mortes, une agonie sans gravité qui appelle à la chute.
Les compositions les plus récentes conservent, dans la nécessité de dire, trace de l’autisme qui hante les plus anciennes, poignant tandis que les moyens mis en œuvre étaient encore sommaires, ambigu à présent qu’ils ont parfait la définition de la reprsentation, en ce que leur retranchement farouche est transgressé par la force d’un discours ultime dans un domaine dont la communication n’est pas l’objectif véritable. La culture est langage, art à part cependant, même si les gestes qui créent (détacher, attacher, structurer) font dire des arts aussi qu’ils le sont, dont les expressions seraient des communications. Hormis ceux qui combinent les mots, aucun cependant n’exploite la complexité d’une grammaire. Création n’est donc pas signification produite ou véhiculée, mais bien énergie générée et agissante, s’il le faut sous le masque magicoreligieux ou idéologique que lui imposerait une culture commanditaire, si ce n’est sous ceux de convictions assumées par le créateur ou de nécessités qui le maitriseraient. L’œuvre a pour sujet la perception, malgré les apparences qui souvent la font visiter mais aussi ignorer pour ce qu’elle est vraiment.
Pour atteindre son propre secret, l’artiste espère la grâce d’une pleine adhésion à lui-même. Fort d’une telle fondation, il travaille à investir la perception sensorielle, du moins en premier, plutôt que l’intellect, pour que son usager trouve l’acces à ses propres mobiles inconscients, aussi variés soient-ils. Moins le créateur habite l’œuvre qu’il abandonne au public, plus celle-ci s’offre à ce que quiconque s’installe pleinement, pour un moment, en elle. Que la création s’impose donc d’abord aux sens, comme un fait physique que le corps ressentira tout entier. L’art est un faire auquel Pasternak accède en disant, fut-ce silencieusement. Symboliquement, métaphoriquement, consciemment ou non, il se résout cependant à se taire, non sans une sourde resistance de son bruit. Parmi les corps tendus au sol mollement accidenté d’une vision crépusculaire, certains figurent probablement les seuls cadavres visibles dans l’œuvre. Des ombres surréelles émanent des gisants, restituant une verticalité aux compositions emportées par les courbes, comme une persistance du sens bien qu’il n’y ait plus personne pour le dire.
Movy Pasternak a mûri son dessin à l’exercice de la manière noire. Cette technique consiste à saturer localement ou dans sa totalité la surface du support, une matrice, une planche de cuivre infiniment incisée par le bercement longuement répété d’une lame courbe, de sorte que les entailles conservent l’encre qui lui est imposée en vrac, puis essuye jusqu’à préciser les quantités correspondantes à la densité et à la profondeur d’une multitude de creux. L’encre subsistante sera imprimée sous forte pression au papier. Celui-ci renverra toute la lumière reçue, diminuée de celle à laquelle l’encre fait obstacle, plus ou moins selon sa densité. Les formes sont donc extraites par un travail d’abolition ou de réduction des creux sous la contrainte d’un effort physique, qui acte progressivement, comme sous l’action d’une gomme très dure, les fermes attouchements qui provoqueront les disparitions et les émergences. La variété des apparitions est précisément celle des effacements.
Pasternak s’est donc rendu maître du contraste blanc – noir par la variante inversée du clair-obscur qu’offre la manière noire, d’un effet plus pictural que graphique. Ne recourant pas à l’acide, cette technique ne nécessite pas l’usage de vernis non plus que celui du pinceau, ce bout de bois terminé par des poils auquel Pasternak ne se reconnaît aucune affinité. Le rapport des valeurs privilégia de plus en plus la pénombre, tandis que semble à présent exclue la profonde illumination qui caractérise le plus souvent les produits de cette spécialité. Un exercice parallèle de la couleur adapta ce type de contraste à la superposition de deux ou trois tons, une colorisation plus qu’une polychromie, car l’épaisseur du pigment dans l’encre, conjuguée à la saturation des valeurs et à l’absence d’apories suffisantes au sein de chaque matrice, empêche la distinction des tons et celle d’une gamme de complémentaires dans une variété d’intensités. Le résultat exalte une obscurité de la couleur, celle d’une pénombre émanant du sujet même, dont la lumière serait comme endeuillée. Les pastels ne sont pas plus vivement colorés, c’est dans un espace nocturne qu’ils excellent. Le noir et blanc a, en retour de l’expérience de la couleur par l’estampe, découvert la superposition.
Comment tendre l’espace, produire l’énergétique dont nul n’est sûr de réitérer l’exploit après l’avoir accompli, auquel beaucoup ne parviennent jamais, de ceux même qui en perçoivent la nécessité et espèrent l’avènement? L’espace de Pasternak a résulté d’abord de la disposition des formes, ensuite de déformations logiques dans l’ordre perspectif, finalement d’emphases, d’élisions ou de renversements paradoxaux au sein de tels ordres. Aux débuts de l’œuvre, sombres et pleines (ou planes) sur fond clair (vide ou plat) et en contrastes exacerbés, les formes émaneront bientôt d’un fond tout à fait saturé, vidé de sa substance aux lieux d’émergences dans la mesure où les apparitions s’en distinguent, de plus en plus précises mais pas de plus en plus lumineuses. Plusieurs stratégies ont présidé à l’investissement de la surface par les configurations formelles, celles de personnages détachés d’un sol ou d’un fond par les variations de leurs dispositions respectives selon diverses perspectives compliquées comportant notamment de radicales ruptures de points de vue ou d’échelles. Les décors initiaux étaient ascétiques (chaise, mur) et tout à fait culturels. Le fond s’est tendu de paysages d’une nature cultivée, le sol d’étendues d’eau reflétant des pans de ciels rythmés d’élans végétaux, les firmaments se sont animés de ces mouvements d’air et d’eau qui jouent les ordres et les désordres naturels.
À l’âge auquel Cézanne inventa son énergétique, il reste à Movy Pasternak un tiers-temps de création à vivre. Son œuvre trouve dans des études de nature des solutions spatiales moins logiquement perspectives qu’irrationnellement perceptives. L’espace, décrit à présent par de faibles écarts dans l’obscur, est bien plus riche que celui qui dressait les scènes où se répondaient, comme s’ils étaient simultanés, les aspects successifs d’un même sujet ou ceux d’une de?multiplication de semblables, me?lange de portraits et de leurres authentifiés par le détail suffisant, en lequel implose la certitude identitaire. Vus de près, de loin et de plus loin se de?tachent à présent des champs d’insistances en regard desquels la reconnaissance des formes passe au second plan du partage d’une sorte d’intimité, celle d’une nuit dont aucun luminaire ne perce le mystère. Une lumière d’aube ou de crépuscule s’écoule d’horizons lointains. Indirecte, reflétée, voilée, retenue, elle s’insinue parmi les formes, révélant la pénombre. Ce n’est plus l’illusion d’un lieu étendu d’une profondeur relativement éloignée jusqu’à une avancée vers l’œil. Les formes sont les reliefs que nous survolons du regard, que nous fréquentons en cheminant. Elles nous appellent, moins à la pénétration du sens dont le ressassement les fait venir qu’à éprouver les jeux d’attachements et de détachements auxquels elles se prêtent, dont la pénombre multiplie les possibles. Le bruit signifiant se fond en murmure parmi les tressaillements d’une nature indifférente mais concrète, présente sensoriellement.
L’œuvre de Movy Pasternak est posée toute entière sur papier, un support fragileà? la lumière et à l’humidité notamment. Modeste par le nombre mais pour une part largement démultipliée par le tirage, elle est d’une telle subtilité de traitement dans l’obscur que sa reproduction ne révélera guère la variété de sa noirceur ou la saturation de ses quelques tons. S’impose donc la rencontre réelle de l’objet investi à la fois d’un trouble létal et du charme d’une sensorialité scellée dans ses sombres éclairages, sinon sa possession, à qui voudra en éprouver pleinement l’espace, la scène ou la question.
Ce dessin paradoxal renonce à l’intelligence de la ligne pour rencontrer l’irrationnel qu’offre la pictorialité, mais en excluant l’outil usuel d’un tel retour, le pinceau. Vue dans sa succession, l’œuvre réduit l’échelle de ses contrastes comme on baisse la voix afin de se mieux faire entendre. S’assombrissant, elle n’en mobilise que plus l’attention, de sorte que s’impose à l’esprit son sens ou qu’au contraire de l’abandon vient habiter sa nuit. Trop intense pour n’être qu’un décor, trop grave pour un divertissement, elle appelle au dépassement, une réalité certainement rencontré par son auteur aux moments de grâce d’un vécu pleinement assumé au travail, dont l’efficience sur l’usager dépend cependant de son action sur les automatismes de la perception visuelle, lesquels interagissent hors conscience. Pasternak éprouve à tâtons la tension qui, nous investissant directement le corps, relativise la dramaturgie dont son œuvre se nourrit.

Georges Meurant